Ce que je sais de toi, Eric Chacour

Difficile, quand on compte un.e amateur.ice de livres dans son entourage, de savoir quoi lui offrir : on a tellement de chances de lui en offrir un qu’iel a déjà ! Pour certains de mes proches, la solution est simple : de l’argent et une mission, aller moi-même en librairie ❤ Or, cette fois-ci, j’avais envie de sortir de ma zone de confort, et d’aller à la rencontre de romans vers lesquels je ne me serais pas naturellement dirigée. L’avantage, c’est que j’aime vraiment lire de tout, même si mon goût pour la SFFF domine très largement ma bibliothèque. J’ai donc demandé conseil à ma libraire préférée, bien davantage amatrice de littérature contemporaine que moi, et toujours, TOUJOURS d’excellents conseils. Elle m’a conseillé deux titres, que j’ai embarqué avec moi. L’un d’eux, notamment, me faisait un petit peur : allais-je être aussi séduite qu’elle ? Plutôt que de le laisser dans ma PAL – je me connais, plus le temps passe, plus j’ai du mal à sortir de ma zone de confort – j’ai choisi de le lire de suite. Verdict ? Devinez, un peu… 🙂

Résumé

Le Caire, années 1980. La vie bien rangée de Tarek est devenue un carcan. Jeune médecin ayant repris le cabinet médical de son père, il partage son existence entre un métier prenant et le quotidien familial où se côtoient une discrète femme aimante, une matriarche autoritaire follement éprise de la France, une sœur confidente et la domestique, gardienne des secrets familiaux. L’ouverture par Tarek d’un dispensaire dans le quartier défavorisé du Moqattam est une bouffée d’oxygène, une reconnexion nécessaire au sens de son travail. Jusqu’au jour où une surprenante amitié naît entre lui et un habitant du lieu, Ali, qu’il va prendre sous son aile. Comment celui qui n’a rien peut-il apporter autant à celui qui semble déjà tout avoir ? Un vent de liberté ne tarde pas à ébranler les certitudes de Tarek et bouleverse sa vie.

Mon avis

J’ai lu ce roman entre deux chapitres de Malice, et après avoir dévoré des romans suuuuper légers. Autant vous dire que le changement d’ambiance était important ! Comme je vous le disais, je l’ai commencé pétrie d’appréhensions… et les premiers chapitres m’ont très rapidement rassurée : la plume, avant toute autre chose, est absolument magnifique. Il n’est pas question de grands mots ou de formules alambiquées, que l’on se comprenne bien : non, Éric Chacour manie la langue avec une tendre poésie, jouant avec les mots comme les doigts d’un harpiste courent sur son instrument. Ce texte est beau, tout simplement, transcendant les émotions de ses personnages pour nous les rendre réelles, palpables. Nous voilà enchantés dès les premières lignes, hypnotisés par cette voix nous contant une histoire aussi belle que tragique.

Cette histoire, c’est celle de Tarek. Il a 12 ans à peine que sa vie est déjà écrite : il sera médecin comme son père, pas question d’y déroger. Car rien ne compte davantage que la respectabilité de cette famille levantine du Caire, ses parents y veillent jour après jour. D’adolescent, Tarek devient adulte sans remous, sans un mot. Il suit son destin sans faire de vague, se marie… et ouvre un dispensaire dans le bidonville de Moqattam : lui y cherche un sens à donner à une vocation qu’il n’a pas choisie, sa mère n’y voit pas d’objections. Son quotidien s’écoule sans heurt, jusqu’au jour où un jeune homme l’apostrophe à la fermeture du dispensaire : peut-il venir voir sa mère, qui refuse de savoir malade ? Évidemment, Tarek consent. Et s’ouvre une nouvelle page dans la vie du médecin, une page qu’il n’aurait jamais pensé écrire…

En commençant ce roman, j’ai tout d’abord été interpellée par sa narration inhabituelle : le narrateur, omniscient, s’adresse à Tarek, le tutoie, l’interpelle. Qui est-il, comment peut-il en savoir autant sur la vie de notre personnage principal ? J’ai rapidement cédé aux sirènes de la curiosité et ai feuilleté le livre, pour m’apercevoir qu’il était en réalité découpé en 3 parties : « Toi », qui occupe les deux tiers du roman, « Moi », le dernier tiers, et « Nous » qui conclut. Peu à peu, cette identité se dévoile, se devine, et se mêle à la vie de Tarek, qui n’en finit plus de nous captiver : Éric Chacour nous fait pénétrer avec pudeur dans le quotidien de deux familles que tout oppose, de deux mondes qui ne se croisent jamais… et pourtant. Et pourtant, c’est bien une histoire d’amour impossible que nous conte l’auteur, une histoire d’amour impossible entre ces deux mondes, tout d’abord, et entre deux hommes, ensuite. Sans pathos, sans drame, l’auteur nous glisse dans leurs pas, dans leurs émotions, dans leur vie. Sans drame, sans pathos, il nous invite à comprendre la difficulté, la douleur, la frénésie qui sied à une telle relation. C’est une histoire de vie, une histoire de mort, une histoire d’amour qui nous prend aux tripes et nous émeut aux larmes. Les personnages de l’auteur sont aussi puissants que ses mots, et tous se dessinent telle une esquisse délicate au fil des lignes.

Je pourrais continuer pendant longtemps, tant j’aurais des choses à dire sur ce roman. Mais le fait se résume facilement : il est magnifique, voilà tout. Et il n’usurpe clairement pas la longue liste de prix qui lui a été attribuée depuis sa parution. De moi-même, je ne serais sans doute jamais allée vers lui, voilà une chose qui est sûre. Et c’est exactement pour cela que je chérie tant le métier de libraire, toujours à-même de nous faire découvrir de telles pépites ❤